Face à l'ascension fulgurante de l'intelligence artificielle (IA), une question brûlante hante l'imaginaire collectif : l'IA sera-t-elle l'architecte de la disparition massive d'emplois ? Ce questionnement, loin d'être inédit, s'inscrit dans le prolongement de craintes historiques suscitées à chaque irruption majeure d'innovations technologiques. La réponse, cependant, s'inscrit dans une constante réassurante : les révolutions industrielles et technologiques, tout en transformant radicalement le monde et ses métiers, n'ont pas érodé le marché de l'emploi ; elles l'ont redéfini.
Réfléchissons d'abord au tournant du 18e siècle, lorsque Jethro Tull dévoile son semoir mécanique, catalysant l'efficience de l'agriculture. Certes, des inquiétudes germent quant à l'avenir des agriculteurs traditionnels, mais cette avancée annonce l'amorce d'une Révolution agricole facilitant une production accrue et le mouvement démographique vers les cités industrielles naissantes.
Dans ces mêmes cités, la Révolution industrielle vient bouleverser les fondements mêmes de la production de biens. La machine à vapeur, les métiers à tisser automatisés : toutes ces innovations suscitent une crainte palpable d'être supplanté par la machine. Les Luddites, en détruisant ces nouveaux outils de production, incarnent la peur viscérale d'une érosion de l'emploi. Et pourtant, les sociétés s'adaptent, et de nouvelles formes de travail émanent de ces bouleversements.
Le milieu du 20e siècle est lui aussi le théâtre de craintes renouvelées avec l'avènement de l'automatisation et de la robotique. Le "Unimate" de George Devol révolutionne la production automobile, optimisant les processus mais semant également la peur parmi les ouvriers. Cette période voit s'élever des voix, telles celle de Herbert Marcuse, critiquant la technologie pour son éventuelle aliénation des travailleurs, sans ignorer pour autant les gains de productivité et la requalification des compétences professionnelles.
L'automatisation ne se cantonne pas à l'usine. Bientôt, les tâches administratives sont également ciblées. L'ordinateur IBM 360 transforme les bureaux, soulevant des questionnements quant à l'avenir des emplois de comptabilité ou de gestion de stock. Le débat académique s'emballe : la technologie crée-t-elle plus d'emplois qu'elle n'en détruit ?
À l'aube des années 1980, l'ordinateur personnel fait irruption dans les foyers, stimulant une révolution numérique dont les leaders visionnaires comme Steve Jobs et Bill Gates sont des figures emblématiques. Les ordinateurs transforment la comptabilité, le commerce de détail, requérant une main-d'œuvre plus qualifiée, et suscitent une transformation profonde des compétences requises sur le marché de l'emploi.
Internet continue de défricher inlassablement le champ des possibles, faisant naître de nouveaux modèles économiques, creuset de préoccupations pour certains secteurs comme la vente au détail ou les médias. Tim Berners-Lee, en posant les jalons du Web, ouvre la voie à une globalisation accélérée, qui tout en générant des appréhensions sur la pérennité de l'emploi local, connecte le monde de façon inédite, instaurant l'ère du télétravail et de l'immédiateté communicationnelle.
Finalement, l'aube du 21e siècle voit l'essor prodigieux des "big data" et de l'apprentissage automatique. Des systèmes comme ChatGPT révolutionnent les méthodes de travail, engendrant une inquiétude légitime quant au remplacement des emplois notamment complexes. Mais tout comme leurs prédécesseurs technologiques, l'éthique et les conséquences de l'IA sont scrutées, débattues et finalement intégrées dans un contexte professionnel évolutif.
Finalement, l'IA, loin de détruire les emplois, s'avère jusqu'à présent être une force transformatrice majeure, tout comme le furent l'agriculture mécanisée, l'industrialisation ou la numérisation avant elle. Si l'emploi demeure, certes, c'est son essence qui se métamorphose, esquissant un monde professionnel en perpétuelle mutation, reflet des avancées de notre civilisation.