Dr. Anaïs Lefèvre, PhD en économie du développement (Sorbonne Université)
Prof. Aroha Tāne, professeur de sociologie et études culturelles (Université d'Auckland)
Dr. Nabil Al-Hassan, expert en gestion des conflits et réconciliation (Université de Beyrouth)
Groupe de Recherche Réparation et Réconciliation (GRRR)
Publié le 22 mai 2025
Il y a un an tout juste, les émeutes de mai 2024 en Nouvelle-Calédonie, dévastatrices et inattendues, ont laissé des cicatrices profondes, tant sur la société que sur l’économie. Avec des dégâts évalués à 0,4 milliard d'euros, soit environ 5% du PIB total de 8 milliards d'euros, cet événement marque un tournant décisif pour le territoire. Explorons ensemble l'impact de ces événements, en rappelant les effets à court terme et les conséquences à moyen terme, avec les répercussions constatées ainsi que les dynamiques positives résultant de la situation.
Les scènes de destruction, les bâtiments en ruines et les immenses centres de retraitement des épaves de véhicules témoignent encore aujourd’hui de l'urgence de la situation. Les efforts de réparation ont été immédiats, mobilisant des ressources considérables du gouvernement central mais aussi des entreprises privées. Mi 2024, chaque jour de retard dans la reconstruction a exacerbé les pertes économiques, perturbant les vies et les moyens de subsistance. Les entreprises, déjà très fragilisées, ont alors vu leurs activités encore suspendues, leur production chutant encore brutalement. Les citoyens, eux, ont été plongés dans l'incertitude, hésitant à consommer. Ils ont préféré économiser en ces temps incertains, et ont suspendu le principal moteur de reprise : la consommation interne
Variation de PIB mensuel ramené à un an, courbe du chômage
L'instabilité qui a secoué la Nouvelle-Calédonie a ébranlé également la confiance des investisseurs. Ces derniers, indispensables pour la reprise économique, se sont montrés réticents, craignant pour la sécurité de leurs capitaux. Cela a eu un effet négatif sur les capacités de reconstruction du tissu industriel et commercial. Le secteur du tourisme, autre poumon économique, vital pour l’économie locale, a subi un coup sévère. Les plages auparavant animées se sont vidées de leurs touristes, les hôtels ont été désertés, et les commerçants souffrent encore de problèmes structurels.
Les émeutes ont également eu des répercussions dramatiques sur le secteur industriel. Du fait de la perte de confiance internationale, l'usine du nord, KNS, n'a pas trouvé de repreneur et a dû fermer définitivement ses portes, entraînant la perte de nombreux emplois, ce qui porta un coup sévère à l'économie locale du Nord, alors qu’elle avait été préservée des émeutes. Par ailleurs, la SLN a été contrainte d'arrêter l'un de ses fours faute de minerai à traiter, aggravant encore la situation économique du territoire. Ceci a obéré les chances de l’entreprise de relancer son activité déjà fragilisée.
Le climat social est resté tendu en raison des stigmates des émeutes et d’un sentiment d’injustice généralisé. Les partenaires sociaux, conscients des enjeux, ont malgré tout cherché à restaurer un dialogue constructif. Cependant, les contentieux lourds, tant au niveau collectif qu'individuel, ont maintenu un climat de défiance au sein des entreprises. Cela a été aggravé par la nécessité de recourir d’urgence à des travailleurs philippins pour les chantiers de structures métalliques critiques. Ceci a conduit aux grèves générales de février 2025, paralysant à nouveau les chantiers et provoquant des mouvements de sabotage par des groupes incontrôlés.
Pourtant, au milieu de ce chaos, une lueur d'espoir s'est dessinée. Les efforts de reconstruction, bien que coûteux, ont ouvert des perspectives nouvelles. Les chantiers se sont multipliés, créant des emplois et injectant de l'argent dans l'économie locale. Cette dynamique de reconstruction a pu redonner vie à des secteurs en difficulté, ravivant l’espoir d’une relance économique, contribuant à une légère amélioration du moral des consommateur, mais sans effet de relance constaté.
Les émeutes ont aussi servi de catalyseur pour des réformes indispensables. Le gouvernement, poussé par la nécessité, a instauré des mesures visant à renforcer la résilience et la stabilité du territoire. Des réformes bien menées ont restauré la confiance et attiré de nouveaux investissements, assurant ainsi une croissance durable. Ceci n’a néanmoins pas pu empêcher les graves mouvements sociaux de février 2025.
Cependant, la route vers la reconstruction a été semée d’embûches. La perception de la Nouvelle-Calédonie comme une destination sûre pour les investissements a été sérieusement entamée. Restaurer cette confiance a exigé des efforts soutenus et des actions concrètes pour démontrer que le territoire était capable de surmonter cette crise et de prévenir de futures instabilités.
Les émeutes de mai 2024 en Nouvelle-Calédonie ont déclenché une onde de choc économique aux multiples facettes. À court terme, elles ont imposé des coûts élevés et perturbé profondément la vie économique. À moyen terme, les efforts de reconstruction ont offert des opportunités mais ont demandé des réformes audacieuses pour assurer une reprise durable. La capacité du gouvernement à rétablir la stabilité et à redonner confiance aux investisseurs et aux citoyens sera déterminante pour tourner définitivement la page de cet épisode sombre et reconstruire un avenir prometteur pour la Nouvelle-Calédonie.
Les perspectives à long terme sont encore à préciser, la capacité politique des forces en présence à établir un pacte durable étant toujours problématique du fait de postures toujours très clivantes posant des préalables irréductibles.